jeudi 29 octobre 2009

Le Conseil général des Côtes-d'Armor promeut la culture scientifique et technique océanique.

Remise du Prix scientifique "Christian Le Provost, Océnographe"


le 23 octobre dernier, le président du Conseil Général des Côtes d'Armor, Claudy Lebreton a remis le premier prix "Christian Le Provost, océanographe" (*) au lauréat Fabrice Ardhuin, ingénieur au Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) à Brest en présence de Dominique LE QUEAU, directeur de l'INSU et des représentants du monde scientifique.




Fabrice Ardhuin (34 ans) explore, parmi les thématiques délaissées par la recherche océanographique en France, les sujets susceptibles de faire avancer l'océanographie opérationnelle. Ces développements ouvrent une nouvelle ère d'applications pour la prévision des vagues, de la télédétection à la modélisation des courants à la surface de l'océan. Il est l'auteur de 35 publications dans son domaine de recherches.



Ce prix doté de 7 000 € (financé cette année par le Conseil général des Côtes-d'Armor), a été décerné par un jury international de scientifiques. Il est destiné à promouvoir la recherche en dynamique océanique dans toutes ses dimensions (climat, écosystèmes marins, exploitation des ressources minérales, vivantes ou énergétiques dans les systèmes côtiers et hauturiers etc.). Il vise à récompenser un jeune chercheur qui aura contribué significativement par ses travaux au développement de connaissances et d'applications.



Le Conseil général des Côtes-d'Armor promeut la culture scientifique et technique océanique. Il est impliqué dans une politique locale d'aménagement et de développement durable des espaces marins et des activités liées à la mer.

Nous publions ci après le discours de président Claudy Lebreton

"Du fait de mes origines, de mon enfance, des activités et des passions qui ont été les miennes jusqu'à maintenant, je suis obligé de dire que je suis un terrien. Je suis quelqu'un qui ressent, réfléchit et pense la nature et la destinée des hommes en ayant les deux pieds sur terre. Comme beaucoup, pendant très longtemps, je n'ai conçu "l'immensité bleue", la mer, que vue de la terre ou en vue des terres.

Cependant, depuis une dizaine d'années environ, depuis notamment la rédaction par le Sénateur Pierre-Yvon Trémel d'un premier grand rapport sur la "stratégie maritime des Côtes d'Armor", j'ai acquis la conviction que ce sont la mer et les océans qui vont redonner du sens et de l'espoir à l'humanité et lui offrir une nouvelle chance.

Dans son essai "Regards sur le monde actuel", dés 1931, Paul Valéry a prophétisé que "Le temps du monde fini commençait". 80 ans plus tard, beaucoup de faits lui donnent pleinement raison: le bouleversement climatique sous l'effet des gaz à effet de serre, la pénurie prévue de l'eau, l'épuisement annoncé dans les proches décennies de nombreuses matières premières à commencer par le pétrole mais aussi la crise alimentaire annoncée sous la pression démographique, la disparition des forêts tropicales, le recul accéléré de la biodiversité, etc,.

Mais si l’ère des terres vierges et des territoires libres est close, comme le pensait Valery, la planète est-elle pour autant totalement connue et possédée par les terriens que nous sommes ? Certainement pas…

Pensant que l'expansion de nos activités terrestres pouvait être éternelle, nous avons négligé l'évidence, à savoir que notre planète ne devrait pas s'appeler "Terre" mais "Océan". Les mers et les océans couvrent 71% de la surface de notre planète. Alors qu'un changement de civilisation est à l'œuvre, qu'un nouveau monde doit naître, il est grand temps de faire nôtre cette évidence.

Terriens, nous voulions croire que tout était poussière et retournerait à la poussière, or en vérité, pour ce qui constitue le vivant, tout vient de la mer et y retourne. La mer est la matrice de la création et nous avons sa mémoire dans le sang.

Ainsi à la différence près de la concentration en chlorure de sodium, il existe une analogie quasi parfaite entre notre plasma sanguin et l'eau marine. Les neuf dixième de l'évolution du vivant se sont déroulés sous l'eau.

"C'est par la mer qu'il convient de commencer toute géographie" a écrit Jules Michelet". Pendant des siècles, nous avons vogué vers des continents inconnus, voulu voler vers des astres inconnus, je pense à la lune ou encore à Mars, en espérant les fouler de nos pieds, sans comprendre que l'inconnu primordial est notre espace océanique. L'homme n'a exploré que 5 % des océans. Les abysses constituent le plus vaste habitat de notre planète.

Est-ce pour nous rappeler à l'ordre marin de nos origine et de la nature, pour nous faire comprendre qu'ils ne sont ni des espaces sans limite de chasse-cueillette, ni les poubelles de nos errements terrestres, mais qu'ils sont les grands régulateurs de la vie que notre arrogance dédaigne, que les océans s'apprêtent à augmenter leur niveau et s'acidifient au risque de brûler les dernières cartouches d'une vie soutenable pour l'humain dans ce coin du cosmos ?

On m'objectera avec raison que, jusqu'à très récemment, on ne savait pas.

On ne savait pas que :
- c'est la mer qui produit 50 % de l'oxygène que nous respirons grâce à des millions de micro-organismes que l'on commence seulement à connaître;
- ce sont les océans qui, grâce à ces micro-organismes, sont le plus grand puit à carbone de notre planète en absorbant 50 % des gaz à effet de serre;
- c'est l'espace marin qui emmagasine la majorité de la chaleur solaire;
- ce sont les océans qui régulent le climat, interviennent dans le cycle et la répartition planétaire de l'eau et influent directement sur l'air que nous respirons;
- ce sont la flore et la faune océanique qui recèlent la plus fantastique chimiothèque et pharmacopée naturelles susceptibles de soigner les maladies d'aujourd'hui et du futur;
- on ne se savait pas non plus que sans compter les poissons et les mammifères marins, les algues, les coquillages et les crustacés sont un grenier alimentaire stratégique à très haut pouvoir nutritif pour faire face aux famines menaçantes du futur;
- on ne réalisait pas que les énergies de la mer (vents, marées et courants, vague et houle, hydrothermie mais encore algues énergétiques) constituent un des maillons les plus prometteurs de l'hybridation des ressources énergétiques alternatives qu'il nous faut inventer pour demain;
Par exemple, ce n'est que depuis ans que l'on sait que 400 000 hectares de bassins de micro-algues peuvent produire en carburant propre l'équivalent de consommation annuelle mondiale tout en piégeant le CO2 et les métaux lourds alors qu'il faudrait 118 % de l'Hexagone en agro-carburant à base de tournesol pour compenser les 50 millions de tonnes d'équivalent pétrole annuellement consommées en France par le transport
- etc

Il ne serait pas difficile de multiplier les exemples de connaissances nouvelles sur l'espace marin qui s'accumulent et qui fusent de toute part aujourd'hui.

Je pense que nous sommes à une période critique et charnière. Je crois que la mer et les océans sont au centre des défis que l'humanité doit relever. Je pense même qu'ils sont la clef de ces défis. Nombreuses sont les disciplines scientifiques et les sciences de l'ingénieur concernées par le devenir des mers et des océans et par la façon dont nous allons devoir - non plus les exploiter comme par le passé- mais les connaître pour vivre mieux avec eux et grâce à eux.

L'espace marin et océanique, je l'ai dit, est encore en grande partie un espace inconnu mais nous en connaissons désormais assez pour savoir qu'il est impossible de leur imposer le traitement destructeur et dévastateur que nous avons fait subir aux ressources vivantes, animales et végétales mais aussi fossiles et minérales des espaces terrestres.

La mer et les océans sont sans doute le plus vaste domaine d'innovation utile dont nous disposons dans la perspective du développement durable.

Continuer de les mettre en danger par obligation économique pour certains, mais aussi par ignorance, dédain ou cupidité pour d'autres, comme nous le faisons, ce alors qu'ils sont très certainement notre dernier espoir, c'est à mes yeux, nous condamner.

Dans ce département, dont le nom même rappelle qu'il est la Terre de la Mer, il est clair que la promotion de la culture océanique doit être une priorité. Cela explique notamment le soutien que nous apportons au film de Jacque Perrin "Océans" dont la sortie mondiale devait se faire cette semaine, au moment de la remise de ce prix, mais qui a du être reculée.

Cette culture océanique ne peut être qu'une culture du développement durable, qu'une invitation à penser, agir et innover écologiquement.

Interface entre terre et mer, littoral touché plus qu'aucun autre depuis vingt ans maintenant par le phénomène des algues vertes, nous sommes bien placés pour savoir que le retour à un mieux-vivre ensemble demain ne sera pas lié à une croissance "verte" ou une croissance "bleue" mais, pour reprendre l'expression du scientifique et journaliste Yan de Kerorguen à une croissance qui résulte du mélange de ces deux couleurs, une "croissance turquoise".

Nous avons de nombreux atouts pour devenir ce territoire "turquoise" Je ne vais pas les énumérer. Leur mise en œuvre ne peut cependant pas résulter d'un coup de baguette magique. Nous devons réunir nos forces et nos compétences autour de symboles, faire converger vers notre territoire les connaissances les plus essentielles et alimenter une nouvelle pédagogie vis-à-vis de l'espace marin et océanique et des opportunités qu'il offre désormais aux terriens que nous sommes trop restés dans nos mentalités.

Pour ce faire, il y a deux ans nous avons choisi de soutenir le développement de l'association "Le cercle Polaire" car les pôles arctiques et antarctique sont les sentinelles du devenir de l'espace océanique et du changement climatique. Comprendre ce qui s'y passe, c'est comprendre la dynamique de la planète et ce qui nous attend…

Lorsqu'un an plus tard, Madame Denise Le Provost et son fils Bertrand, sont venus au Conseil Général pour nous expliquer la carrière scientifique de Christian Le Provost, ses apports à la connaissance des océans, la façon avec laquelle il avait travaillé avec de nombreux laboratoires de recherche pour contribuer à la naissance de l'océanographie opérationnelle mais encore la place que les Côtes d'Armor occupaient dans son cœur, il nous a semblé que le risque devait être pris de créer un Prix Scientifique en Océanographie portant son nom.

Je dois vous avouer que j'ai été impressionné lorsque j'ai découvert pour la première fois la liste des personnalités qui ont accepté de faire partie du Conseil Scientifique de ce Prix. De même, aujourd'hui, je suis impressionné par la présence à la première remise de ce prix des représentants des grands instituts et laboratoires de recherche en océanographie et en sciences de l'Univers.

En vous voyant ainsi réunis en Côtes d'Armor, je me dis que ce Prix symbolise certes l'attention extrême que nous devons apporter désormais à l'espace marin mais aussi –et peut-être surtout- l'état d'esprit avec lequel nous devons le faire.

Je n'ai pas eu l'honneur de connaître Christian Le Provost mais au delà de sa passion pour les océans, pour la recherche et la connaissance, cinq mots me semblent caractériser ce qu'il symbolise au travers de l'existence de ce prix et de votre présence aujourd'hui: L'ouverture, la créativité, la confiance, la détermination et l'enthousiasme.

Puisse cet état d'esprit souffler sur la nouvelle politique de la mer que nous souhaitons désormais soutenir dans les Côtes d'Armor mais aussi en Bretagne au coté des autres départements bretons. Nous allons en avoir besoin au cours des années qui viennent si nous voulons être une terre exemplaire de la croissance "turquoise".

Nous aurons besoin de votre soutien et de vos encouragements pour avancer dans ce sens et pour poser les bases de l'ingénierie écologique marine dont les Côtes d'Armor et la Bretagne peuvent être demain les fers de lance.

Merci à vous tous, merci à vous Madame Denise Le Provost, à vous Bertrand, à vous Monsieur Bruno Voituriez pour la Présidence du Conseil Scientifique de ce Prix dont, d'ors et déjà, nous sommes très fiers en remettant cette médaille à Monsieur Fabrice Ardhuin, premier lauréat de ce prix. Merci enfin à vous Monsieur Ardhuin car vos travaux portent en grande partie sur l'hydrodynamique des espaces côtiers et le génie côtier, deux domaines dont les applications nous concernent au premier chef en Côtes d'Armor.

Ce prix vous l'avez compris symbolise pour nous l'avenir vers lequel il faut nous tourner. "



sources : Conseil général des Côtes d'Armor / Photo CG22 / Photo Thierry Jeandot - GG22 /RH - 3B Conseils