vendredi 20 novembre 2009

Interviews Thalassa de Michel Ricard et Brigitte Bornemann-Blanc des entretiens Science et Ethique

En marge de l'émission Thalassa du 13 novembre dernier, le Professeur Michel Ricard et Brigitte Bornemann-Blanc ont répondu aux questions de Bernard Dussol, rédacteur en chef

Nous publions ci-après ces deux entretiens


Trois questions à Michel Ricard, Président des entretiens Science et Ethique, Responsable du réseau universitaire pour le Bassin méditerranéen et les pays des Balkans.

1/ On constate en France une multiplication d'associations luttant contre l'implantation de champs éoliens offshore. Comment expliquez-vous cette résistance ?

Le problème de certaines associations est double : D'une part, elles n'ont pas une approche globale, transversale des questions abordées, et restent cantonnées dans des approches verticales; en outre, les contacts avec les instances décisionnaires que sont l'État et les collectivités sont limitées du fait d'une démarche trop souvent centralisatrice qui impose plus qu'elle ne propose. D'autre part, il existe encore trop souvent, chez les associations comme chez les autres parties prenantes de notre société, une crainte de perdre sa "clientèle" et sa visibilité en adhérant à des projets ou à des idées qui n'émanent pas directement d'elles : dans ces conditions, il est plus facile de s'opposer que de s'associer. Ces deux raisons expliquent que les démarches de concertation restent encore l'exception en France avec toutes les conséquences prévisibles parmi lesquelles le blocage de la construction des éoliennes offshore à Veullettes sur Mer (Basse-Normandie), par exemple, qui en est la meilleure démonstration.

2/Quelles sont les actions très concrètes qui permettent une sensibilisation du grand public au développement durable ?

Ces actions passent par l'éducation qui doit amener chacun à adopter de nouveaux comportements en accord avec le développement durable. Pour cela, il est primordial que les enjeux soient clairement présentés et expliqués au travers de démarches corrélées d'éducation, de formation et d'information. Ces démarches doivent amener progressivement chacun à une prise de conscience des enjeux présents et à venir. Les changements de comportements ne peuvent pas se décréter, ne peuvent pas être instantanément assimilés et c’est donc une démarche éducative permanente et multiforme, inscrite dans la durée qu’il convient de favoriser sachant que la seule sensibilisation ne peut suffire à atteindre le but recherché.

Malgré la nécessité d'adopter, dans les délais les plus brefs, des changements de comportement cette éducation doit reposer sur des actions concrètes développées en partenariat au plan local, national et européen et en référence à un calendrier précis. Ces actions doivent être évaluées en permanence de manière à ce que les citoyens puissent connaître les avancées et rester mobilisés. Il est important, par exemple, de savoir si les consommations d'énergie baissent, de quelle façon et dans quels secteurs d'activité, et si la part des énergies renouvelables augmente comme cela est souhaité. Autre exemple : est-ce que les mesures visant à limiter les consommations de carburants fossiles où la production de déchets, donnent des résultats ? L'exemple des emballages montre bien que malgré la réglementation, tous les types d’emballages (pour l’alimentaire, l’électronique, les cosmétiques…) continuent d'envahir poubelles et déchetteries.

3/ Les ressources océaniques sont-elles à la base de bouleversements prévisibles dans notre futur quotidien ? Des exemples ?

Les ressources océaniques qui font l'objet d'une exploitation par l'Homme sont nombreuses, qu'elles soient biologiques ou minérales. Quelles que soient ces ressources, elles sont menacées par la surexploitation : les gisements minéraux connus seront épuisés dans les prochaines décennies. Quant aux ressources biologiques, de graves menaces pèsent sur elles en raison de la méconnaissance réelle ou voulue du fonctionnement des écosystèmes marins. En effet la surexploitation des ressources biologiques traditionnelles (poissons, mollusques, crustacés, algues) ne menace pas seulement directement ces ressources, mais toute la chaîne alimentaire à laquelle elles appartiennent ainsi que les sites qui les abritent et qui sont détruits malgré certaines protections en Europe par les engins de pêche (dragues, chaluts), sans oublier les multiples aménagements côtiers particulièrement destructeurs. Outre ces menaces nombreuses et graves qui résultent de la surexploitation, il faut considérer les conséquences de l'augmentation des gaz à effet de serre qui provoquent à la fois un réchauffement des eaux océaniques et une augmentation de l'acidité de ces eaux. Le réchauffement des eaux va avoir deux conséquences : d'une part, une baisse de la production végétale et animale des eaux de surface et, d'autre part, une migration des espèces vers des eaux plus froides et l'apparition de nouvelles espèces, ainsi qu'une perturbation des périodes de production.

Ces deux phénomènes se conjugueront pour causer un appauvrissement marqué des ressources océaniques avec une aggravation du contexte socio-économique. L'augmentation de l'acidité des eaux, causée par une augmentation de la quantité de CO2 atmosphérique capté par les océans, provoque des perturbations de la fixation du calcaire dissous dans les océans par les organismes comme le plancton, les mollusques (huîtres, moules,…), les algues calcaires (présentes dans les eaux tempérées) et les coraux. Ce phénomène entraînera également un appauvrissement des ressources océaniques exploitées par l'Homme et, au-delà, aura des conséquences sur l'environnement dont la portée ne peut pas encore être évaluée.

Propos recueillis par Bernard Dussol


Trois questions à Brigitte Bornemann-Blanc, 
de l’agence 3B Conseils et déléguée générale des entretiens Science et Ethique.


1/Est-ce que l’accumulation d’informations sur le thème du réchauffement climatique ne risque pas de lasser le public, voire de le démobiliser en partie ?

Si on dit parfois que trop d’informations tuent l’information, je pense au contraire qu’elles réveillent les consciences et que leur multiplication et surtout leur diversité constituent une chance. Les changements climatiques ont certes toujours existé dans les cycles d’évolution de notre planète comme dans l’histoire de l’Humanité. Nous avons cependant interféré dans les échelles de temps et ce fait est une résultante de l’activité humaine au cours du dernier siècle avec ses conséquences sur les peuples, la faune, la flore…


2/Comment trier à bon escient dans la multiplication des sources et dégager une information « juste » en-dehors de tout débat passionné ?

L’information « juste » ? Vaste débat… Je parlerais plutôt d’une information variée mais fiable. Pour cela il faut être en éveil, être curieux et avoir une formation au sens critique. Pour faire le tri, il faut d’abord aller vers des sites et des blogs de référence, parfaitement accessibles au grand public, réalisés par des journalistes, des experts, des artistes, des organismes scientifiques, des élus ou des ministères. Mais le rôle des médias demeure primordial. La responsabilité de l’auteur reste totale. Un débat passionné ne peut exclure les arguments et la controverse. Cela montre combien il est complexe d’émettre un avis et de prendre une décision. Mais aujourd’hui nous ne pouvons plus dire que nous ne savons pas.

3/De quels outils disposez-vous pour sensibiliser les élus et le grand public sur les grands enjeux de la planète ?

3B Conseils a créé deux manifestations « Science et Ethique » à Brest et « Défense et Environnement » à Paris. La première est spécialisée sur le monde de la mer, la seconde sur l’impact des activités de défense sur l’environnement. Ces conférences débats largement ouverts, réunissent à la fois des experts, des élus, des scientifiques, des ONG… en présence du grand public. Tous les débats sont filmés et accessibles gratuitement sur le web. C’est grâce à la confiance des intervenants d’abord, qui ne sont pas rémunérés pour intervenir, et aux soutiens des collectivités territoriales comme la Région Bretagne, le département du Finistère, la Ville de Brest et Brest métropole océane, le ministère de la défense et d’industriels que nous pouvons avoir cette démarche.

Propos recueillis par Bernard Dussol

Pour en savoir plus sur les énergies de le mer

Sources : Thalassa France3 / 3B Conseils